Zone de libre-échange des Amériques  - ZLEA

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Public
FTAA.soc/civ/27
Le 15 mai 2002

Original : anglais

ZLEA – COMITÉ DES REPRÉSENTANTS GOUVERNEMENTAUX SUR LA PARTICIPATION DE
 LA SOCIÉTÉ CIVILE

MÉMOIRE PRÉSENTÉ EN RÉPONSE À L’INVITATION OUVERTE


Nom Nicolás de Torrente, directeur exécutif
Organisme Médecins Sans Frontières/Doctors Without Borders (MSF)
Pays États Unis

Le 1er mai 2002

Président du Comité des représentants gouvernementaux sur la participation de la société civile
a/s du Secrétariat de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA)

Apartado Postal 89-10044
Zona 9, Ciudad de Panama
République du Panamá

Transmis par courrier électronique à soc@ftaa-alca.com

Je suis heureux de vous faire part des commentaires de Doctors Without Borders/Médecins sans frontières (MSF) sur l’avant-projet de l’accord de la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) en réponse à la troisième invitation ouverte au public lancée par le Comité des représentants gouvernementaux sur la participation de la société civile. Ces commentaires portent exclusivement sur les conséquences néfastes que la ZLEA pourrait avoir sur l’accès aux médicaments essentiels et vitaux dans les pays en développement du continent américain.

MSF est un organisme international indépendant qui apporte une assistance médicale et humanitaire d’urgence aux victimes de guerres, d’épidémies et de catastrophes naturelles ou causées par l’homme ainsi qu’aux personnes privées de soins de santé en raison de leur marginalisation sociale ou géographique. MSF mène actuellement plus de 400 projets de secours médical dans près de 90 pays. L’organisme a gagné le prix Nobel de la paix en 1999. La même année, MSF a lancé sa Campagne pour l’accès aux médicaments essentiels, initiative internationale qui est née de la frustration éprouvée par les médecins et le personnel infirmier de MSF, qui avaient de plus en plus de difficulté à soigner les patients en raison du coût élevé des médicaments, de leur inefficacité ou encore de leur inexistence pure et simple. Trop souvent, les médecins de MSF n’arrivent pas à sauver des patients qui ne peuvent acheter les médicaments qui amélioreraient leur qualité de vie, prolongeraient leur vie ou leur sauveraient la vie, ce qui est tout à fait inacceptable. MSF est actuellement présent dans de nombreux pays des Amériques, y compris la Bolivie, le Brésil, la Colombie, l’Équateur, le Salvador, le Guatemala, Haïti, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, Panamá et le Pérou.1 Les équipes de MSF apportent une assistance médicale aux personnes atteintes du VIH/sida, de la malaria, de la maladie de Chaga, de la leishmaniose, du trachome, etc., ainsi que des soins primaires, des soins à la mère et à l’enfant et d’autres services aux populations déplacées, aux sans-abri et aux populations autochtones.

Un recul par rapport aux progrès accomplis à Doha

La quatrième Conférence ministérielle de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui s’est tenue en novembre 2001 à Doha, au Qatar, a permis d’effectuer des progrès importants dans le débat international sur l’incidence que l’Accord de l’OMC relatif aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) aurait sur l’accès aux médicaments. Cent quarante-deux pays ont adopté une déclaration sur l’Accord relatif aux ADPIC et la santé publique. Cette déclaration est largement axée sur les pays en développement et place clairement les besoins en santé publique au-dessus des intérêts commerciaux, en plus de présenter des éclaircissements dont nous avions grand besoin sur les assouplissements clés de l’Accord sur les ADPIC en matière de santé publique. Le fait que la santé publique, en particulier l’accès aux médicaments, soit désignée comme une question qui nécessite un traitement spécial dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord sur les ADPIC est en soi une reconnaissance du statut particulier des soins de santé et des technologies relatives aux soins de santé par rapport aux autres produits, ce qui donne aux pays la marge de manœuvre dont ils ont besoin pour être en mesure de contrer les effets néfastes qu’une protection excessive des droits de propriété intellectuelle aurait sur la santé. Toutefois, la ZLEA risque de miner les progrès accomplis à Doha. La position des États-Unis, en particulier, nous amène à nous interroger sérieusement sur les véritables motifs qui les ont poussés à signer la Déclaration de Doha.

La Déclaration de Doha doit conserver sa primauté sur les autres négociations commerciales internationales sur les droits de propriété intellectuelle en ce qui concerne les technologies relatives à la santé publique. Ainsi, les négociateurs de la ZLEA se doivent de respecter l’accord signé à Doha.

Brevets, prix et patients : l’exemple du VIH/sida

Selon l’Organisation mondiale de la santé, il y a actuellement 1,8 million de personnes atteintes du VIH/sida en Amérique latine et dans les Caraïbes, et environ 110 000 personnes sont mortes du sida dans la région en 2001. Seule l’Afrique subsaharienne affiche un taux de prévalence plus élevé que la région des Caraïbes. Le VIH/sida est devenu l’une des principales causes de décès dans plusieurs pays des Caraïbes.2 L’épidémie de sida entraîne de graves conséquences sur les autres maladies infectieuses tropicales présentes dans la région comme la maladie de Chaga (trypanosomiase américaine) et la tuberculose. Dans les pays en développement du continent américain, des centaines de milliers de personnes atteintes du VIH/sida n’ont pas accès au traitement antirétroviral simplement parce qu’elles n’ont pas les moyens de payer les médicaments. Or, dans les pays riches comme les États-Unis, ce traitement a permis de considérablement améliorer et prolonger la vie des personnes atteintes du VIH/sida, en plus de réduire de plus de 70 p. cent3 le nombre de décès attribuables au sida.

Le prix n’est pas la seule raison pour laquelle les gens ne reçoivent pas les médicaments dont ils ont besoin, mais il s’agit d’un obstacle de taille. Comme MSF et d’autres organisations non gouvernementales le soulignent depuis maintenant plus de deux ans, le coût élevé des médicaments est souvent la conséquence des brevets, qui permettent à leur titulaire d’exercer un monopole sur l’utilisation, la fabrication, la vente et l’importation du produit breveté et, par conséquent, de vendre le produit au prix le plus profitable, même si ce prix n’est pas équitable pour la plupart des pays en développement. Comme l’illustre le tableau ci-dessous, la concurrence des médicaments génériques est essentielle pour qu’une pression à la baisse soit exercée sur le prix des médicaments, comme nous l’avons maintes fois constaté sur le terrain, tout particulièrement en ce qui concerne le traitement antirétroviral du VIH/sida.

Il y a deux ans seulement, la trithérapie antirétrovirale coûtait en moyenne de 10 000 à 15 000 $ par année pour chaque patient, alors que cette thérapie ne coûte maintenant que 300 $ par année pour chaque patient. Cette baisse est le résultat direct de la pression exercée à l’échelle internationale par le public et de la concurrence des médicaments génériques, en particulier des médicaments produits en Inde et au Brésil, où l’absence de protection par brevet permet la production de médicaments génériques. Au cours des prochaines années, ce type de concurrence cessera d’être possible parce que les produits pharmaceutiques seront protégés par brevet dans les pays en développement qui possèdent une capacité de production, à moins que l’on mette en place des conditions flexibles qui permettront l’octroi de licences obligatoires, comme le prévoit la Déclaration de Doha, et que des licences obligatoires soient couramment accordées en réponse aux problèmes de santé publique. Les licences obligatoires pour les produits pharmaceutiques sont l’un des principaux moyens de préserver la concurrence des médicaments génériques.

L’exemple du prix des médicaments contre le sida illustre la situation qui prévaudra lorsque tous les produits pharmaceutiques seront protégés par brevet en 2006, quand la plupart des pays membres de l’OMC auront mis en œuvre l’Accord sur les ADPIC.4 Tous les nouveaux médicaments seront alors protégés contre la concurrence des produits génériques, ce qui entraînera inévitablement une hausse du prix des nouveaux médicaments, qui deviendront inaccessibles aux patients dans le besoin. Les facteurs qui ont permis de faire baisser le prix des médicaments contre le sida s’estomperont.

Conséquences possibles sur l’accès aux médicaments dans les pays pauvres des Amériques

Les objectifs des États-Unis dans les négociations de la ZLEA, rendus publics par le Bureau du représentant américain au Commerce,5 ne laissent aucun doute sur l’intention des États-Unis d’imposer des normes sur les produits pharmaceutiques qui vont beaucoup plus loin que les exigences fixées dans l’Accord sur les ADPIC et qui, dans certains cas, sont tout à fait contraires à l’esprit et à la lettre de la Déclaration de Doha, qui exprime clairement des préoccupations sur les conséquences des brevets sur le prix des médicaments, et qui précise explicitement que l’Accord sur les ADPIC devrait être interprété et mis en œuvre « d’une manière qui appuie le droit des Membres de l’OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir l’accès de tous aux médicaments ».6

À l’opposé, la proposition des États-Unis contient plusieurs points clés qui auront une incidence néfaste directement sur l’accès aux médicaments dans les Amériques. Voici quelques-unes de ces conséquences :

1. Imposition d’importantes restrictions sur les circonstances justifiant le recours à une licence obligatoire relative à des produits pharmaceutiques

Bien que la Déclaration de Doha réaffirme le droit des pays membres de l’OMC de recourir à une licence obligatoire pour quelque raison que ce soit (et non seulement en cas d’urgence), la proposition des États-Unis prévoit clairement que le recours aux licences obligatoires devra être permis uniquement dans quatre situations limitées (utilisation publique non commerciale, urgence nationale, situations d’extrême urgence et pratiques déclarées anticoncurrentielles) et que ce recours sera réservé à des fins gouvernementales. Si cette proposition est adoptée, il ne sera plus possible d’avoir recours à des licences obligatoires pour contrer l’usage excessif des brevets (par exemple dans les cas d’établissement de prix excessifs) pour favoriser la concurrence entre les entreprises du secteur privé de manière à faciliter l’accès aux médicaments essentiels brevetés.7

2. Prolongation de la durée des brevets relatifs aux produits pharmaceutiques au-delà de la période de 20 ans dans l’Accord sur les ADPIC

Les États-Unis proposent de prolonger la durée des brevets afin de compenser l’enregistrement rapide des médicaments génériques8 et les retards administratifs et réglementaires excessifs qui peuvent survenir dans la délivrance du brevet9. Cette prolongation n’est pas requise par l’Accord sur les ADPIC, et un groupe spécial de l’OMC a affirmé explicitement que ce genre de prolongation de la durée des brevets ne représente pas un intérêt légitime des titulaires de brevet.10

3. Exercice abusif des pouvoirs des autorités réglementaires chargées de faire respecter les brevets

Les États-Unis proposent que les autorités de réglementation pharmaceutique informent le titulaire d’un brevet de l’identité de toute entreprise qui tenterait d’obtenir une approbation en vue de mettre en marché la version générique de produits brevetés avant l’expiration du brevet. Ainsi, les autorités de réglementation pharmaceutique joueront le rôle d’organismes d’exécution des brevets, ce qui risque d’entraîner la prolongation injustifiée de la durée de certains brevets. Ce type de proposition entraînera inévitablement la protection de revendications de brevet non fondées étant donné que les processus judiciaires habituels garantissent déjà une protection adéquate aux revendications fondées.11

4. Droits exclusifs sur les données pharmaceutiques

Les données pharmaceutiques désignent les renseignements cliniques habituellement exigés par les autorités de réglementation pharmaceutique dans le processus d’approbation de la mise en marché des nouveaux médicaments. Bien que l’Accord sur les ADPIC oblige seulement les membres de l’OMC à protéger les « données non divulguées résultant d’essais ou d’autres données non divulguées » contre « l’exploitation déloyale dans le commerce » ou « la divulgation » dans le cadre de la loi contre la concurrence déloyale, les États-Unis proposent l’octroi de droits exclusifs sur ces données pendant au moins cinq ans. Cette proposition retarderait et limiterait la concurrence des médicaments génériques dans les cas où un brevet n’existerait pas ou qu’une licence obligatoire aurait été accordée.

Conclusion

Selon Carlos Correa (université de Buenos Aires), grand spécialiste de l’intégration des préoccupations en matière de santé publique aux lois sur les brevets dans les pays en développement, toutes ces propositions mènent clairement à un ADPIC-plus.12 Dans le cadre des négociations de la ZLEA, les États-Unis visent un renforcement des droits de brevet au-delà de ce qui est prévu dans l’Accord sur les ADPIC, ainsi que la réduction de la portée des sauvegardes, au détriment de la santé publique. Si les États-Unis atteignent ces objectifs, la ZLEA annulera les progrès que représente la Déclaration de Doha en ce qui concerne l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, ce qui, dans les pays à revenu intermédiaire ou à faible revenu, pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’accès aux médicaments pour des millions de personnes atteintes du VIH/sida ou de maladies négligées. Pour eux, il s’agit d’une question de vie ou de mort.

 

Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments distingués,

 

Nicolas de Torrente  Olaf Valverde, MD
Directeur exécutif


MSF États-Unis
Médecin praticien et coordonnateur de la Campagne
pour l’accès aux médicaments essentiels

MSF Guatemala

 

c.c. Ambassadeur Robert Zoellick, représentant américain au Commerce
Ambassadeur Peter Allgeier, adjoint au représentant américain au Commerce
Joseph Papovich, adjoint au représentant américain au Commerce chargédes services, des investissements et de la propriété intellectuelle
Claude Burcky, adjoint au représentant américain au Commerce chargé de la propriété intellectuelle


Notes

1 MSF possède également des bureaux en Argentine, au Canada, au Costa Rica et aux États-Unis.

2 http://www.unaids.org/worldaidsday/2001/Epiupdate2001/EPIupdate2001_fr.doc  - Consulté le 20 avril 2002.

3 Selon le National Institute of Allergies and Infectious Diseases des États-Unis (du National Institutes of Health) et les Centers for Disease Control and Prevention, le nombre estimatif annuel de décès attribuables au sida aux États-Unis a chuté d’environ 70 p. cent de 1995 à 1999, passant de 51 117 décès en 1995 à 15 245 décès en 2000. Cette baisse est attribuable en grande partie à l’arrivée du traitement antirétroviral hautement actif (HAART). Source : Centers for Disease Control and Prevention (CDC), HIV/AIDS Surveillance Report 2001; 13 (no 1):1-41.

4 Ce délai a récemment été repoussé à 2016 pour les pays les moins avancés, conformément à la Déclaration de l’OMC sur l’Accord sur les ADPIC et la santé publique, au http://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min01_f/mindecl_trips_f.htm  

5 Voir http://www.ustr.gov/regions/whemisphere/intel.pdf  - Consulté le 30 avril 2002.

6 Pour voir la version complète de la Déclaration, aller au http://www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min01_f/mindecl_trips_f.htm

7 Voir le graphique de la page 4.

8 On parle aussi souvent d’« exception Bolar ».

9 Une autre proposition est fondée sur le manque de ressources humaines, techniques et financières des pays en développement ou les moins développés qui, souvent, n’examinent pas eux-mêmes les demandes de brevet et se fient aux résultats des examens faits par les pays développés. Par conséquent, les États-Unis proposent que, lorsqu’un brevet est accordé dans un pays A à la suite d’un examen réalisé dans un pays B, la durée du brevet dans le pays A devrait être prolongée d’une période égale à la durée de la protection accordée dans le pays B.

10 Canada - Protection conférée par un brevet pour les produits pharmaceutiques - plainte des Communautés européennes et de leurs États membres (WT/DS114/R).

11 Voir aussi les commentaires de Rob Weissman, de Essential Action, en réponse à la demande de commentaires sur la ZLEA lancée par le représentant américain au Commerce, le 22 août 2001, au
http://lists.essential.org/pipermail/pharm-policy/2001-August/001422.html

12 Inter Press Service, le 2 avril 2001. Notons que « l’expression “ADPIC-plus” est un terme non technique qui désigne les efforts visant à : étendre la durée de la protection conférée par le brevet au-delà du minimum de 20 ans prévu par l’accord, limiter l’octroi de licences obligatoires de manières non prévues par l’accord et limiter les exceptions qui facilitent l’introduction rapide des produits génériques. Étant donné que les incidences des prescriptions de l’Accord sur les ADPIC sur la santé publique n’ont pas encore été pleinement évaluées, l’OMS recommande aux pays en développement de se montrer prudents lorsqu’ils envisagent d’adopter une législation allant au-delà de ce qui est prévu dans l’Accord sur les ADPIC. » (Perspectives politiques de l’OMS sur les médicaments, no 3, mars 2001).
 

               

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